G. Tardif

Brieve methode du pleinchant qui enseignera à chanter & connoistre tous les tons en peu de temps

Lyon, Chez Jean Gregoire, 1672

Pour citer cette page :
Xavier Bisaro, “Brieve methode du plein-chant (1672)”, Cantus Scholarum, <https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/ressources/sources/methodes-faciles-de-plain-chant/brieve-methode-du-plein-chant-1672/> [publié le 24 avril 2015], consulté le 21 novembre 2024.

Cette brochure appartient à la catégorie des méthodes produites par des maîtres de musique. Comme Denis Macé, G. Tardif semble avoir exercé en milieu urbain, à Lyon où il confie l’impression de son livre à Jean Grégoire. Cet imprimeur généraliste venait de se lancer activement dans l’édition en lien avec le service divin : après avoir publié le Directoire du chant grégorien du chanoine bisontin Jean Millet, il devint membre en 1670 de la “Compagnie des usages de Lyon” (un consortium d’artisans voué à l’édition des livres liturgiques du diocèse). À ce titre, il fut associé à l’impression d’un Antiphonarium iuxta Breviarium Romanum (1670, disponible ici), d’un recueil de messes propres pour les Frères mineurs (1672) et d’un Missale romanum (1673). Ayant vendu son fonds de librairie à Pierre Valfray (1674), il est donc à l’origine du développement de l’impression à destination liturgique à Lyon.

Compte tenu de cet environnement, il est possible que la Brieve methode ait été commandée par Jean Grégoire à Tardif afin de compléter sa gamme naissante. La comparaison de la table des tons de la méthode avec celle de l’antiphonaire imprimé par Grégoire laisse apparaître une grand proximité entre ces deux sources : mêmes differentiae, même ordre d’apparition (exemples 1 et 2).

Rédigée à la première personne du singulier, la suite de cette méthode est plus personnelle et pourrait refléter l’enseignement que Tardif dispensait. Elle procède cependant à rebours de la plupart des traités de même nature en enchaînant table psalmodie, apprentissage de l’identification des tons et (en dernière position) explication de la gamme ! Le caractère incohérent de cette construction est accru par le dernier paragraphe de la méthode qui, s’il prend la forme d’une prière conclusive, aurait pu aussi bien figurer comme exorde :

Amy lecteur, tout ce que j’ay dit cy devant en ce petit Livret, n’est quepour te faciliter d’apprendre en bien peu de temps la Science du plein-Chant, par la plus briéve Methode qui se peut donner : Priant Dieu, le S.[aint] Nom duquel seul tu dois chanter ses Loüanges, qu’il te puisse inspirer, qu’apres les avoir entonné ça bas, tu les puisse aller chanter au Ciel, avec les bien-heureux qui louent incessamment, le Pere, le Fils, & le S. Esprit. Ainsi soit-il1Tardif, Brieve methode…, p. 19..

Autre singularité, Tardif propose des exercices conjuguant un conduite mélodique “musicale” (mouvements disjoints, enchaînements de degrés mélodiques inhabituels dans le plain-chant) avec critères de définition de chacun des huit tons (dominante, ambitus, formules d’intonation). Par exemple, les tons 5 et 6 (exemple 3) donnent lieu à des exercices nettement différenciés en fonction du profil de chacun des tons.

 

Partisan de la gamme avec muances2“Fin de la grande & ancienne Game : et je m’estonne fort de ce qu’on la veut quitter ; car dans mon escrit on ne trouvera point de changement de muance, si ce n’est que de changer une notte, mi, au fa” ; Tardif, Brieve methode, p. 15.,Tardif introduit la mobilité du mi-fa dans les exercices de sa composition. Néanmoins, il partage le pragmatisme qui régnait en la matière et, de ce fait, il expose dans un deuxième temps les gammes double puis simple3Tardif, Brieve methode, p. 16-17., même s’il doute des vertus pédagogiques de cette dernière :

Sur cette Gamme de nature, je vous feray voir à veüe d’oeuil ce qui en est : car un enfant devinera en huit jours toutes ces nottes, mai je ne dis pas qu’il les entonnera bien, neantmoins c’est un grand advantage, tant pour les grands que les petits4Tardif, Brieve methode…, p. 17..

Le format de cette méthode (in-12), sa pagination réduite (19 pages) et son ouverture sur un directoire psalmodique peuvent indiquer une diversité de destinataires et de fonctions. Outre les clercs et les maîtres d’école, des fidèles laïcs voire des écoliers pourraient bénéficié de cette brochure, y compris pour un usage non didactique (par exemple comme aide-mémoire durant l’office). L’hypothèse est d’autant plus tentante que la méthode de Tardif est contemporaine de l’ouverture et du développement des écoles de charité lyonnaises dirigées par Charles Démia, écoles où la pratique pédagogique de la psalmodie était de mise.

(X. Bisaro, avril 2015)

Notes   [ + ]

1. Tardif, Brieve methode..., p. 19.
2. "Fin de la grande & ancienne Game : et je m'estonne fort de ce qu'on la veut quitter ; car dans mon escrit on ne trouvera point de changement de muance, si ce n'est que de changer une notte, mi, au fa" ; Tardif, Brieve methode, p. 15.
3. Tardif, Brieve methode, p. 16-17.
4. Tardif, Brieve methode..., p. 17.
ex. 1 - Brieve methode... (p. 3)
ex. 2 - Antiphonarium iuxta Breviarium romanum
(Lyon, 1670, p. 16)
ex. 3 - Brieve methode... (p. 12)

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