Le chant scolaire dans l’Europe moderne :
une histoire musicale des identités sociales et religieuses
programme de recherche 2013-2017
Xavier Bisaro
(CESR, UMR 7323 – Institut Universitaire de France)
Ce programme de recherche a pour objectif de définir les origines, les formes concrètes et les implications multiples de la pratique du chant dans l’enseignement scolaire européen entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
Afin de mieux connaître cet aspect majeur et pourtant peu étudié de l’histoire de l’éducation, le programme sera développé en fonction de l’hypothèse de travail suivante : les répertoires chantés dans les écoles, les outils d’apprentissage utilisés ainsi que les manifestations culturelles et cultuelles ayant suscité cet apprentissage musical eurent une incidence sur l’établissement des identités sociales et religieuses caractéristiques de l’Europe moderne et, dans une certaine mesure, contemporaine.
Le programme est donc conçu dans une perspective comparatiste et pluridisciplinaire, puisque situé au carrefour de la musicologie, de l’histoire et de l’anthropologie historique.
Détail des axes
1.1
Il s’agit tout d’abord de préciser la chronologie et la cartographie de la généralisation du chant dans les petites écoles de l’espace français, de la fin du XVe siècle à la Révolution. Une attention particulière est portée aux racines de cette pratique au Moyen Âge, afin de délimiter les régions où le magister-chantre est déjà un pivot de la vie religieuse locale, avant d’en devenir une figure commune durant la période moderne. Par ailleurs, l’enquête cherche à mieux différencier les zones où le chant scolaire se développe pleinement de celles où il n’apparaît que peu ou pas.
Cette phase de l’étude conduira à l’établissement d’une bibliographie complète des travaux anciens et récents sur les petites écoles, la reprise de ces travaux, ainsi que des dépouillements d’archives pour les régions non encore renseignées. Les contrats de maître d’école et les documents ecclésiastiques sur l’établissement des petites écoles (actes de fondation, règlements) constitueront les sources principales de ce chantier.
1.2
Ce volet est consacré à l’établissement d’une liste aussi complète que possible des imprimés (ouvrages et documents « volants ») ayant pu servir, sur la période considérée, à la pratique chantée scolaire en France. Pour ce faire, les ouvrages incitant explicitement au chant sont examinés, ainsi que les supports sans indication musicale mais destinés à l’apprentissage de la lecture (abécédaires, livres d’heures pour enfant…), ou encore les recueils de catéchismes à destination scolaire et les ouvrages liturgiques dont l’utilisation dans les écoles est attestée.
Cette recherche sera conclue par la publication d’une base de données en ligne proposant une bibliographie critique de ces documents, ainsi qu’une anthologie de fac-similés représentatifs des méthodes de chant employées par les maîtres des petites écoles.
Ce deuxième axe est consacré à l’examen au rôle du chant scolaire dans les processus de reconnaissance interne et externe des appartenances confessionnelles entre le milieu du XVIe siècle et le début du siècle suivant. À cet effet, des zones de travail ciblées ont été choisies en fonction des critères suivants : pluralité religieuse, pluralité linguistique, forte implantation de petites écoles, existence de sources. La connaissance actuelle des fonds disponibles en rapport avec cette problématique incite pour l’instant à retenir les Cévennes (anciens diocèses de Nîmes, Alès et Uzès), les zones de mission des jésuites hungarophones autour de 1600 (sud de l’actuelle Slovaquie), et l’ancienne Souabe allemande. À titre de comparaison, l’Italie centrale fournira un exemple de territoire aux structures religieuses stables et nombreuses, dans un contexte confessionnel homogène.
Les principales questions abordées dans le cadre de cette recherche sont les suivantes : quelles stratégies chantantes furent à l’œuvre dans les écoles des nouvelles confessions chrétiennes ? dans quelle mesure le chant fut employé comme une arme de reconquête par les missionnaires auprès des populations pré-adultes ? quelles hybridations furent imposées ou concédées dans les pratiques chantées enseignées ? Outre les sources d’archives liées à l’histoire scolaire des aires géographiques retenues, les traces notées du chant scolaire font l’objet d’une investigation particulière.
Les enquêtes liées à cet axe de travail déboucheront tout d’abord sur la publication d’un ouvrage collectif proposant une synthèse sur la problématique générale du croisement entre identité religieuse et identité « chantante » à la fin du XVIe siècle. De plus, un colloque à visée comparatiste réunira, sous la direction des membres du réseau décrit ci-dessus, des historiens et musicologues afin de rapprocher les connaissances actuellement éparses sur le volet musical de la confessionnalisation de l’Europe à la fin de la Renaissance.
Séminaire de l’axe 2 (2014-2016)
Programme de la première séance (6 et 7 novembre 2014) ici.
Programme de la deuxième séance (22 et 23 avril 2015) ici.
Le groupe des contributeurs à l’axe 2 s’est retrouvé les 27-28 octobre 2015 pour élaborer une méthode de travail adaptée à la rédaction collective d’un ouvrage électronique faisant la synthèse des thématiques abordées (titre provisoire : Vox puerorum : chant, lecture et enfance à l’époque moderne).
Prochaine rencontre les 24 et 25 mai 2016.
Le troisième axe résulte du constat de la disjonction de nos connaissances sur la pratique chantée scolaire d’une part et, de l’autre, sur la culture chantante générale de la société d’Ancien Régime. Or, au moins pour la part masculine de la population, les âges de la vie sont tous concernés par le chant, les images qu’il véhicule ou les actions que l’on entend mener par son truchement. La psalmodie hésitante de l’enfance, l’entrée au lutrin tout comme dans l’abbaye de jeunesse à l’orée de l’âge adulte, le solide plain-chant de la maturité, mais encore les détournements malicieux de ce même plain-chant, voire le goût pour les « chansons deshonnestes » sont autant de facettes d’un ensemble d’usages ordinaires dont cette partie du programme cherchera à valoriser les éléments de cohérence comme les distinctions internes.
Les méthodes privilégiées pour ce chantier seront celles de la micro-histoire, et le cas étudié sera celui de la paroisse de Silly-en-Multien (ancien diocèse de Meaux, actuel département de l’Oise). Le maître d’école de ce village, Pierre Louis Nicolas Delahaye, tint en effet un journal précis de ses activités de 1771 à jusqu’en 1792. Or, ce document est non seulement très riche en informations sur les activités chantantes de ce magister, mais encore sur celles de ses élèves, le plus souvent désignés nominativement dans ce journal. Cette source constituera le point de départ d’une enquête archivistique développée vers l’amont et l’aval de la période d’engagement de Delahaye (du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début de l’époque concordataire). Seront également intégrés les villages environnants la paroisse de Silly ainsi que les villes et bourgs avec lesquels ses habitants étaient en rapport (Meaux, Soissons, Crépy-en-Valois, Nanteuil-le-Haudouin). Dans cet espace, il s’agira de suivre minutieusement et individuellement la voix chantée de Delahaye et de ses élèves de manière à comprendre les liens pouvant exister entre des comportements vocaux différenciés selon les âges, les lieux (église, plein air, intérieurs domestiques ou publics), les époques (Ancien Régime, Révolution, Consulat), on encore selon les influences extérieures qu’ils reflètent (chanson de colportage, littérature « populaire », musique urbaine, musique à danser…).
La publication d’un essai de micro-musicologie conclura ce travail avec pour objectif la mise à jour des articulations pouvant exister entre enseignement scolaire et usages vocaux adultes chez les populations non musiciennes de la France du XVIIIe siècle. Cet ouvrage visera également à interroger la pertinence méthodologique de la démarche micro-historienne en matière d’histoire musicale.
L’ultime volet de ce programme est censé engager une réflexion sur la nature et les effets des processus pédagogiques environnant le chant scolaire. Il s’agira de rechercher les conséquences de l’apprentissage concomitant de la lecture et du chant, dans le but de mieux comprendre les ressorts socio-linguistiques et musicaux des usages mêlant lecture et oralité à l’époque moderne. Cet axe ambitionne également de concevoir de possibles exploitations contemporaines du chant comme outil pédagogique au service de l’acquisition de la lecture, à l’heure où les méthodes d’enseignement tendent à se diversifier pour mieux répondre à la pluralité culturelle des publics scolaires.
Ce travail sera mené dans le cadre d’un séminaire réunissant sur deux années des spécialistes de l’histoire ou des sciences de l’éducation et des enseignants en éducation musicale. Ce séminaire sera conclu par un colloque international dont le but sera de dresser un état des lieux des pédagogies mêlant pratique chantée et acquisition de savoir-faire linguistiques, ainsi que de proposer des pistes de recherche et d’expérimentation en la matière.
Séminaire Chanter la lecture (2016-2017)
Les contributeurs de l’axe 4 Chanter la lecture se sont réunis pour la première fois les 14 et 15 janvier 2016 au CESR de Tours. En la présence de Cécile Boulaire (Université François-Rabelais, Tours), Isabelle Magnan (Académie d’Orélans-Tours), Philippe Bazin et Raymond Mesplé, cette rencontre a permis de dresser un état des lieux de la chanson scolaire en se basant sur une observation de la bibliographie des sources établie pour l’occasion, ainsi que sur l’examen de recueils tant anciens que récents apportés par les participants. Les expériences respectives de ces derniers ont également nourri les discussions.
Les séances suivantes de ce séminaire (juin et septembre 2016) ont permis de progresser selon selon deux directions : d’une part, la poursuite d’une approche rétrospective des répertoires du chant scolaire ou des orientations institutionnelles prises à ce sujet au cours du XXe siècle ; de l’autre, l’élaboration d’une stratégie pédagogique visant à articuler chant et apprentissage de la lecture à la charnière des actuels cycles 1 (école maternelle) et 2 (début de l’école élémentaire). À partir de cette réflexion au départ théorique, une expérimentation a été proposée à des enseignants volontaires exerçant en grande section de maternelle (GS) et cours préparatoire (CP). Après une formation dispensée au titre de l’offre de l’Inspection académique d’Indre-et-Loire, ces enseignants ont pris appui sur un corpus de comptines et de consignes chantées pour introduire la voix chantée comme vecteur d’enseignement et de communication au sein de leurs classes.
Un bilan d’étape a été dressé lors du séminaire de février 2017. Les membres du groupe de travail ont ensuite préparé une rencontre avec les enseignants participant à cette opération (prévue pour mai 2017), la captation de situations pédagogiques et l’intégration d’étudiant du CFMI dans ce dispositif. Par ailleurs, un module de formation continue à distance destiné à des enseignants de GS et de CP (Voix pour chanter : voie pour apprendre, du cycle 1 au cycle 2) sera mis au point afin de diffuser les propositions engrangées dans le cadre de cet axe du projet Cantus Scholarum.