Maîtres et maîtresses d’école dans les Affiches du Poitou à la fin du XVIIIe siècle
Pour citer cette page :
Xavier Bisaro, “Maîtres et maîtresses d’école dans les Affiches du Poitou à la fin du XVIIIe siècle”, Cantus Scholarum, <https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/publications/essais-et-notes-de-travail/affiches-du-poitou/> [publié le 20 janvier 2015], consulté le 21 novembre 2024.
Alors que je préparais un ouvrage sur le plain-chant des paroisses rurales sous l’Ancien Régime (Chanter toujours – plain-chant et religion villageoise dans la France moderne, 2010), Sylvie Granger (Université du Maine) me mit sur la piste des annonces de recrutement de maîtres d’école dans les périodiques provinciaux. Ces brefs textes permettaient, en effet, de découvrir comment des communautés paroissiales sollicitaient des candidats à la régence de leurs écoles mais aussi à la charge de chantre de leurs églises. S. Granger me fit alors parvenir plusieurs offres extraites des Affiches du Poitou et des Affiches du Maine dont je proposais une première exploitation.
Dans le prolongement de cette approche, les notes qui suivent reposent sur la recherche exhaustive des offres d’emploi de maître d’école publiées dans les affiches du Poitou sur la période 1773-1781, et sur leur examen en fonction d’un questionnaire centré sur les problématiques scolaires.
Période et zones concernées
La période étudiée couvre les années 1773-1781 au cours desquelles les Affiches du Poitou furent publiées, avant de laisser place aux Annonces, affiches et avis divers de la Province du Poitou (1782-1786) qui redeviendront ultérieurement Affiches du Poitou (1787-1789).
Toutes les offres scolaire parues dans ce périodique ont trait au recrutement de maîtres masculins à l’exception d’une. La zone étudiée est vaste (cf. carte ci-dessous) : dix annonces sont réparties à l’intérieur d’un triangle Nantes-Tours-La Rochelle, trois autres émanant du Haut-Poitou ou de l’Angoumois.
Auteurs des annonces
Si certaines annonces sont signées, d’autres sont publiées anonymement. On ne peut alors que relever les collectivités ou les individus au nom desquelles elles paraissent, ou bien les personnes à qui les candidats sont invités à d’adresser.
En fonction de ces différents cas de figure, trois types d’émetteurs sont identifiables :
- annonce totalement anonyme : hormis le lieu de recrutement, aucun nom n’est indiqué (six annonces, soit près de la moitié du total) ;
- collectivité civile ou représentant du pouvoir seigneurial : annonces passées pour le compte des habitants (Parthenay, Mortagne) ou des officiers municipaux (Richelieu) ;
- annonces donnant pour correspondant un juge-sénéchal (Argenton-Château) ou un avocat installé dans une ville voisine (Verteuil-en-Angoumois) ;
- instance religieuse : annonces passées par un curé (Olonne), un prieur faisant vraisemblablement fonction de curé (Soullans) ou un procureur de fabrique.
Ces annonces témoignent de la généralisation de la lecture des périodiques provinciaux à la fin du XVIIIe siècle, et de la faculté de certains de leurs lecteurs à les utiliser comme des moyens de communication dans le cadre de leur profession. Par exemple, le curé Paranteau, auteur de l’annonce pour sa paroisse d’Olonne, passe aussi par les Affiches du Poitou pour rendre compte de manière hyperbolique de la visite de sa paroisse par l’évêque de Luçon, Mgr de Mercy (Affiches du Poitou [AP], 6 novembre 1777, n° 45, p. 179). Les responsables du journal vantent eux-mêmes l’utilité du périodique en informant ses lecteurs que « les Avis insérés dans nos Feuilles pour procurer au bourg de Challans, Bas-Poitou, & à la ville de l’Isle-Jourdain, Haut-Poitou, des Maîtres pour y enseigner la jeunesse, ont produit des effets désirés : ces deux places sont remplies » (AP, 25 novembre 1773, n° 47, p. 188). De leur côté, les candidats à une régence d’école ou à un préceptorat – surtout ceux prétendant exercer en milieu urbain – savent recourir aux Affiches du Poitou pour attirer des élèves (AP, 4 avril 1777, n° 14, p. 56 ; 26 juin 1777, n° 25, p. 100 ; 27 novembre 1777, n° 48 p. 192 ; 12 mars 1778, n° 11, p. 56 ; 7 décembre 1780, n° 49, p. 196).
À la même époque, la parution d’offres similaires dans les Affiches du Maine confirme l’importance croissante des supports périodiques dans le recrutement des maîtres d’école, préludant ainsi aux publications spécialisées qui se multiplieront au siècle suivant.
Profil des maîtres recherchés
Les maîtres visés par ses annonces (cf. tableau ci-dessous) ne sont pas destinés à un seul et même type d’enseignement.
date | lieu | fonctions | autres fonctions envisagées |
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11 février 1773 | Richelieu | lire-écrire-arithmétique [→ petites écoles] |
/ |
24 juin 1773 | Challans | petites écoles écriture-arithmétique [→ petites écoles] humanités [→ collège] chanter les offices |
pension chant de fondations desserte d’une chapelle privée (si le candidat est prêtre) |
22 juillet 1773 | L’Isle-Jourdain | latin [→ collège] |
/ |
28 juillet 1774 | Parthenay | lire-écrire-arithmétique [→ petites écoles] |
pension |
9 février 1775 | Olonne-sur-Mer | chanter aux offices lire-écrire-arithmétique [→ petites écoles] |
entretien de l’horloge fourniture du pain d’autel latin |
5 février 1777 | Châtillon-sur-Sèvre | écriture-arithmétique [→ petites écoles] |
pension |
6 novembre 1777 | Soullans | lire-écrire [→ petites écoles pour les filles] |
pension |
24 décembre 1778 | Mortagne | écriture-arithmétique [→ petites écoles] |
préceptorat |
1er juillet 1779 | Coëx | lire-écrire-arithmétique [→ petites écoles] latin chanter les offices |
/ |
26 août 1779 | Verteuil-en-Angoumois | lire-écrire orthographe arithmétique [→ petites écoles] humanités [→ collège] |
pension |
5 octobre 1780 | Argenton-Château | enseigner la jeunesse dont écriture [→ petites écoles] |
/ |
25 janvier 1781 | La Châtaigneraie | écriture arithmétique [→ petite écoles] latin [→ collège] assister au chœur |
pension |
25 janvier 1781 | Confolens | latin histoire-géographie Écriture [sainte] [→ collège] |
/ |
Mise à part l’annonce pour Confolens – tendant à l’embauche d’un régent de collège (il est question du niveau de « Troisieme » pour le latin) – et celle de L’Isle-Jourdain qui ne parle que de « latin », les autres propositions concernent implicitement des fonctions de maître des petites écoles. Mise à part une occurrence de l’archaïsme « enseigner la jeunesse », ce sont les enseignements cités qui induisent le niveau dont il s’agit : lecture, écriture, arithmétique. Néanmoins, ces demandes ne sont pas exclusives d’un autre niveau de formation, celui des collèges. Lorsqu’à l’habituel triptyque de l’instruction élémentaire est joint le latin ou les « humanités, l’attente des rédacteurs de l’annonce s’élargit à un niveau « proto-secondaire » sans qu’il y ait obligatoirement un établissement qui lui soit expressément dédié.
Stratégies de recrutement
Les annonces sont de longueur variable, de quelques lignes à plus d’une colonne. Leur lecture sérielle permet de dégager quelques caractéristiques récurrentes de leur argumentaire.
Les conditions financières offertes sont annoncées de manière réaliste, hormis à Parthenay où l’on prédit 1 200 lt. « au moins » et « pour ses seules Leçons » au futur maître (AP, 28 juillet 1773, n° 30, p. 132). En revanche, les annonces insistent sur les perspectives de développement de l’activité du maître, perspectives qui n’engagent que celui qui y croit… Soit il est fait état d’un potentiel d’écoliers important, avec des rétributions d’écolage en conséquence, soit le maître est autorisé à prendre des pensionnaires s’il le souhaite. Lorsque les gages fixes correspondaient à la moyenne, il était donc nécessaire de donner l’espoir de rétributions complémentaires et, si possible, au travers d’activités d’enseignement.
Outre les conditions financières, il paraît utile à certains rédacteurs d’annonce de dépeindre leur village ou leur ville sous un jour plaisant. Le comble en la matière est atteint pour l’annonce provenant de la localité de L’Isle-Jourdain. Le texte imite, sur un ton épistolaire, le genre de la notice de village illustré à plusieurs reprises dans les colonnes des Affiches du Poitou. Ce n’est qu’au moment de l’envoi que se glisse la proposition de recrutement :
Comme je vois que l’on vous adresse de différents endroits de la province, des mémoires pour faire connoître le local, le commerce & les productions de chaque contrée, j’ai pensé que je pourrois aussi vous dire un mot de ma patrie. L’Isle-Jourdain est une petite ville située sur les bords de la riviere de Vienne, qu’on y passe sur un très-joli pont construit depuis quelques années. On y voit encore les restes d’un très-ancien Château, situé sur une éminence. La tradition est qu’il a été bâti par les Anglois, & il a été si bien cimenté, que l’on préfere tous les jours de faire casser un rocher, quand on a besoin de moilon, plutôt que d’entreprendre de démolir ce reste d’antiquité. Nos neveux n’auront pas la même peine, pour les constructions de notre siecle. Nous avons marché tous les Vendredis, & foire tous les mois : ce qui attire un grand nombre d’étrangers, d’autant qu’il y a des halles assez étendues pour y entreposer beaucoup de marchandises, & les préserver des injures de l’air. On y recueille, ainsi que dans les paroisses voisines, des grains & des fruits de toute espece. On voudroit beaucoup avoir un Maître capable d’enseigner le Latin aux enfants. Les habitants s’engagent de faire à ce maître un fort gracieux.
(AP, 22 juillet 1773, n° 29, p. 116)
Le thème du village accueillant peut être conforté par l’assurance de la protection et de la bienveillance dont bénéficierait le maître (deux annonces), prévision à rapprocher des conditions instables dans lesquelles les régents étaient susceptibles d’évoluer. La possibilité d’héberger des pensionnaires évoquée dans la majorité des annonces jumelant niveaux primaire et secondaire (La Châtaignerie, Verteuil-en-Angoumois, Challans) confirme que le profil des maîtres qu’elles visent tire vers celui du régent de collège. La nature de l’enseignement attendu est ainsi hybride, au point que l’annonce pour la paroisse de Coëx précise « & même le Latin aux enfans » (AP, 1er juillet 1779, n° 26, p. 103).
Et le chant ?
Les annonces mentionnant le chant parmi les compétences et les fonctions du maître sont localisées dans le Bas-Poitou (Challans, Olonne, La Châtaigneraie et Coëx). Elles recouvrent pourtant des profils de maître-chantres différents.
À Challans, l’offre est suffisamment profuse et adaptable pour intéresser de nombreux candidats (cf. infra). Pour Coëx, l’annonce prend la forme d’une aimable notice la sur paroisse et ses habitants avant de conclure sur l’appel à « un bon Maître d’Ecole, en état d’aprendre à lire, écrire, l’arithmétique & même le Latin aux enfans » (AP, 1er juillet 1779, n° 26, p. 103), sans précision de la rétribution afférente à ces tâches scolaires. À l’issue de cette liste, l’annonce ajoute que ce maître devrait « [savoir] le plain-chant pour être utile au Service Divin » sans spécifier ni dans quelle mesure, ni pour quels gages. Finalement, le ton euphémique de ce texte laisse planer le doute afin, peut-être, d’aiguiser la curiosité des candidats.
À La Châtaigneraie, l’emploi de chantre est couplé à celui de maître des petites écoles (« se charger des petites Ecoles & assister au Chœur les Dimanches & Fêtes », AP, 24 janvier 1781,n° 4, p. 14), l’ensemble ne formant qu’une extension de l’emploi principal tenant plutôt de la régence des premiers niveaux de collège (écriture, arithmétique, principes de latin).
L’offre en provenance d’Olonne (AP, 9 février 1775, n° 6) est bien plus reconnaissable : elle est effectivement représentative d’un type d’emploi fréquemment rencontré dans les paroisses de la France « centrale » et de ses proches extensions (Bourgogne, Champagne, Picardie, Normandie). Signée par le curé de la paroisse, elle accorde la priorité à la fonction de chantre sur celle de maître d’école :
On chercher pour la paroisse d’Ollonne, près les Sâbles en Bas-Poitou, un sujet sachant le Plain-chant pour chanter aux Offices de l’Eglise, & qui puisse en même temps être Maître d’Ecole pour apprendre aux enfans de la paroisse à lire, écrire & l’arithmétique.
(AP, 9 février 1775, n° 6, p. 23).
Le modèle économique induit par cet emploi est également caractéristique du régent-chantre pleinement intégré à la vie du village en tant que clerc de paroisse. Le revenu du futur maître d’Olonne se répartit entre gages fixes (100 l. par an au titre de la fabrique), revenu de rente (60 l.) et fonciers (33 l.), ces deux dernières sources dépendant de l’acceptation par le maître de l’entretien de l’horloge et de la fourniture du pain d’autel. S’ajoute à ce tableau l’habituelle quête annuelle de blé et de vin auprès des paroissiens.
Une annonce singulière : Challans
Au regard des autres annonces, celle de la paroisse de Challans étonne par sa longueur autant que par la quantité et la diversité de ses informations (AP, 24 juin 1773, n° 25, p. 100 – cf. ci-contre). Outre la présentation valorisante des exigences scolaires (apte à l’enseignement des humanités, ce maître serait susceptible d’héberger des élèves et de se retrouver, de fait, à la tête d’une pension), l’annonce est caractérisée par une peinture de la petite ville en cité idéale (bourgeois éclairés, clergé sérieux, confrérie ordonnée et population sage) au sein de laquelle le maître doit pouvoir s’intégrer économiquement et socialement. Cette insistance de l’annonce sur les conditions d’une insertion facile laisse penser à un profil de candidat distinct de celui du « clerc de paroisse », ce que confirment d’autres détails. Le bagage culturel du régent visé est manifestement celui d’un homme “de son temps”, un peu hygiéniste (la localité est présentée comme « saine »), un peu philanthrope (le « bien public » préside aux actions des magistrats). Plus encore, venant potentiellement de l’ailleurs, il doit être renseigné sur la localisation de la paroisse employeuse, sur les voies de communication qui y mènent et sur les unités de mesure qui y sont en usage. Si l’annonce fait état de la possibilité de la quête de blé souvent attachée aux fonctions du régent de petites écoles en milieu rural, sa conclusion dénote une autre catégorie de candidat, en l’occurrence celle des prêtres-enseignants pouvant toucher le bénéfice d’une chapelle privée à desservir en plus de leurs multiples autres devoirs.
Toujours pour Challans, la charge cantorale associée au double enseignement petites écoles/humanités est conséquente. Outre les dimanches et fêtes (ce qui comprend pour chacun de ces jours la messe et les vêpres), le maître est censé chanter toutes les messes fondées et les enterrements avec, à la clef, une rétribution supplémentaire sous la forme d’un casuel. Dans une paroisse avoisinant les 2500 habitants à la fin du XVIIIe siècle, une telle accumulation de services impliquait pour le maître de se faire lui-même assister. Toujours à propos de ses fonctions de chantre, les rédacteurs de l’annonce prennent le soin de préciser « [qu’]On y suit [à Challans] l’usage Parisien », autrement dit une adaptation diocésaine du bréviaire et du missel publiés par l’archevêque parisien Vintimille en 1736 et 1738, adaptation vigueur dans le diocèse de Luçon à partir de 1766. S’il est rompu au chant romain que l’on pratiquait par exemple dans le diocèse voisin de Nantes, un postulant à la fonction cantorale sait qu’il devra assimiler les nombreuses pièces propres à cette liturgie ; au contraire, s’il provient d’un diocèse pratiquant déjà selon les livres parisiens, il y verra une facilité supplémentaire dans son adaptation au contexte local. Dans les deux cas, l’aspirant chantre est doté d’un niveau d’information sur l’actualité liturgique qui le distingue certainement de son homologue rural habitué à une circulation de moindre envergure.
Cet aperçu des annonces de recrutement scolaire dans les Affiches du Poitou conduit en définitive à constater la diversité des emplois proposés et des personnes pressenties, et à suggérer la corrélation de cette diversité à la situation géographique du Poitou. Cette province était situé à la charnière entre le Sud-Ouest des collèges “municipaux” et des régents sans fonction permanente à l’église (pour l’Aquitaine, cf. les conclusions d’E. Allain), et le centre du royaume où le clerc de paroisse incarnait le lien solide entre petites écoles et vie paroissiale. Dans la recherche d’une typologie des statuts de maîtres d’école à la fin de l’Ancien Régime, il ne serait pas inconcevable que le Poitou constituât une zone intermédiaire entre ces deux paradigmes.
(Xavier Bisaro, janvier 2015)