Pour citer cette page :
Xavier Bisaro, “Le “Cahier” de Jean-Baptiste Levasseur (1838)”, Cantus Scholarum, <https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/ressources/sources/livres-de-chant-notes/le-cahier-de-jean-baptiste-levasseur-1838/> [publié le 17 octobre 2014], consulté le 21 novembre 2024.

Présentation

Conservé dans une collection privée, ce livre de taille moyenne (155 mm x 230 mm) est d’un contenu composite. Sa reliure de cuir porte sur la tranche l’intitulé “Ordre des obsèques” qui correspond à sa première partie imprimée (Ordres des sépultures avec l’Office des morts à l’usage du Diocèse de Soissons, Château-Thierry, Deletain, 1838, 127 pages). Suit un Cahier manuscrit, copié par par Jean-Baptiste Levasseur, instituteur à Blesmes (Aisne) en 1838.

Comme de nombreux autres maîtres d’école avant lui, Jean-Baptiste Levasseur disposait de la connaissance et d’un savoir-faire lui permettant de copier au propre des livres de chant. Cette activité pouvait bénéficier soit à la paroisse d’implantation du maître, soit à des commanditaires plus lointains, cet artisanat procurant au copiste un supplément de revenu.

Destination du manuscrit

Dans le cas de ce livre, il est difficile de savoir si Levasseur lui-même utilisa ou non ce Cahier. Le nombre et la diversité du répertoire copié correspond aux diverses situations de chant qu’un instituteur-chantre pouvait rencontrer ; de plus, Blesmes était une succursale du diocèse de Soissons auquel se rattache l’Office des morts imprimé placé en tête du livre. Mais deux indices donnent à penser que le Cahier a peut-être été réalisé pour autrui. D’une part, le livre porte en deux endroits des mentions d’appartenance à Vadel, personnage non identifié. De l’autre, le Cahier comporte la prose Deo coronabitur, “prose de S. Antoine, abbé moine et confesseur, patron de Nesles”. Cette mention situe la commande du cahier à Nesles-la-Montagne1Je remercie M. Gérard Duflocq pour le signalement de cette commune et de la présence de la famille Vadel en son sein., à quelques kilomètres seulement de Blesmes. Or, l’instituteur de ce village était, au moins depuis 18322Selon la déclaration de naissance de sa fille dans cette commune le 25 décembre 1832 ; registre naissances/mariages/décès de Nesles-la-Montagne, 1832, acte n° 36., le dénommé Nicolas Florent Vadel. Il serait ainsi envisageable que ce dernier, encore en fonction en 18363Selon la déclaration de naissance de son fils dans cette commune le 1er mai 1836 ; registre naissances/mariages/décès de Nesles-la-Montagne, 1836, acte n° 10., ait sollicité Levasseur afin de se faire confectionner un cahier de chant à utiliser dans le cadre de sa charge de chantre à Nesles-la-Montagne.

Cette thèse est accréditée par la découverte récente d’un autre manuscrit signé par Levasseur4Je remercie M. Fabrice Gabriac, libraire à Chabeuil, pour le signalement de ce manuscrit et la communication de ses caractéristiques.. Il s’agit d’un Processionnal à l’usage de Soissons daté de 1837, dont la page de titre rappelle explicitement le travail de Levasseur (“fait par Jean-Baptiste Lebasseur, instituteur à Blesmes”). D’une facture très proche de celle du Cahier, ce grand in-8 portatif possède encore sa reliure d’origine et sa deuxième de couverture porte la mention suivante : “Prix relié…. 15 francs. Acheté à l’auteur lui-même”. La page suivante indique le nom de l’acheteur (Huet) et l’année de l’achat (1837). Il n’est donc pas exclu que Levasseur se soit fait connaître comme copiste au point de développer un activité commerciale parallèle à son emploi principal.

Le copiste

Jean-Baptiste Levasseur était un jeune instituteur (né le 28 octobre 1803 à Nanteuil-sur-Marne, Seine-et-Marne) probablement fier de son titre, celui-ci accompagnant souvent sa signature dans les registres d’état-civil de la commune. Ces nombreux paraphes laissent deviner son aisance à l’écrit (exemple 1), de même que la place qu’il occupait dans la vie du village. Jean-Baptiste Levasseur fonda même une famille à Blesmes : c’est en tant que père qu’il signa l’acte de naissance de sa fille, Julie Uranie, née le 23 octobre 1834 de son union avec Victoire Robert (née vers 1799).

signature Levasseur signature Levasseur (2)

ex. 1 – Signatures de Jean-Baptiste Levasseur dans le registre naissances/décès de la commune de Blesmes de 1834 et 1835
(Arch. dép. de l’Aine, 5Mi1082)

Ces signatures peuvent être comparées à celle de Vadel, l’instituteur voisin de Nesles-la-Montagne et probable commanditaire du cahier (exemple 2) : à en croire le style de ces paraphes, les deux hommes appartenaient tous deux à la catégorie de ces maîtres d’école qui se distinguaient par leur culture de l’écrit.

signature Vadel (NMD 1832, Nesles-la-Montagne)ex. 2 – Signature de Nicolas Florent Vadel dans le registre naissances/mariages-décès de la commune de Nesles-la-Montagne de 1832
(Arch. dép. de l’Aine, 5Mi1108)

Alors que la stabilité professionnelle des instituteurs n’était pas encore la règle sous la Monarchie de Juillet, Jean-Baptiste Levasseur restera durant toute sa carrière à Blesmes, commune où il se remarie après son veuvage le 15 septembre 1855 avec Marguerite Maine, une veuve du village de Villers-Helon, à proximité de Villers-Cotterêts.

Fils d’un maçon dont la famille était installée de longue date à Nanteuil-sur-Marne, Jean-François Levasseur fait preuve, dans son Cahier manuscrit, d’une réelle habileté. Les pages sont parfaitement réglées grâce à un cadre fixé à l’aide de pointes dont les marques d’implantation sont encore visibles. La notation elle-même est particulièrement précise et régulière, malgré son tracé à main levée sans l’aide de pochoirs, inutilisables pour un livre d’un aussi petit format. Ce manuscrit comprend en outre un grand nombre de motifs décoratifs rappelant ceux des livres de choeur du XVIIIe siècle. Pour autant, quelques traits plus modernes viennent se mêler à ces inspirations anciennes, comme l’emploi de caractères “alla gothique” pour certains titres (exemple 3), celui d’une graphie correspondant aux standards scolaires du XIXe siècle pour quelques intertitres (exemple 4), ou encore l’imitation de probables modèles gravés pour quelques lettrines (exemple 5).

Levasseur - gothique

Levasseur - écriture gothique (2)

ex. 3 – “Cahier” de Jean-Baptiste Levasseur (p. 10 et 24)

Levasseur - écriture scolaire (p. 34)

ex. 4 – “Cahier” de Jean-Baptiste Levasseur (p. 34)

Levasseur - lettrine

ex. 5 – “Cahier” de Jean-Baptiste Levasseur (p. 31)

Toutes les pièces copiées dans le cahier concernent la messe : outre plusieurs ordinaires, le Cahier contient le chant de prières usuelles comme le Domine salvum, des motets en plain-chant au Saint-Sacrement, des antiennes à la Vierge et une prose pour la fête de saint Antoine. Ainsi, en associant ce manuscrit à l’office des morts imprimé qui le précède, Jean-Baptiste Levasseur ou le destinataire de son travail de copiste disposait d’un vade-mecum minimum de chantre dont l’utilisation devait être combinée avec celle des livres de chœur de la paroisse.

Levasseur - fin du Cahier

(X. Bisaro, novembre 2014 – août 2016)

Notes   [ + ]

1. Je remercie M. Gérard Duflocq pour le signalement de cette commune et de la présence de la famille Vadel en son sein.
2. Selon la déclaration de naissance de sa fille dans cette commune le 25 décembre 1832 ; registre naissances/mariages/décès de Nesles-la-Montagne, 1832, acte n° 36.
3. Selon la déclaration de naissance de son fils dans cette commune le 1er mai 1836 ; registre naissances/mariages/décès de Nesles-la-Montagne, 1836, acte n° 10.
4. Je remercie M. Fabrice Gabriac, libraire à Chabeuil, pour le signalement de ce manuscrit et la communication de ses caractéristiques.

 

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