La Science pratique du chant de l’Eglise (1780)
Pour citer cette page :
Xavier Bisaro, “La Science pratique du chant de l’Eglise (1780)”, Cantus Scholarum, <https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/ressources/sources/methodes-faciles-de-plain-chant/science-pratique/> [publié le 2 janvier 2018], consulté le 21 novembre 2024.
Un manuel pour séminaristes
Cet ouvrage est signé par “un des directeurs du Séminaire de Caen”, établissement qui était confié aux Eudistes depuis sa fondation à la fin du XVIIe siècle. Selon ses propres affirmations, l’auteur a compilé “les meilleurs auteurs de cet Art” dans le cadre de l’enseignement du plain-chant qu’il dispensait depuis près de quarante ans. La parution de sa méthode venait donc parachever une longue expérience pratique. Hormis les circonstances de sa rédaction, la relation de ce manuel au contexte local est manifestée par des “Approbations des plus célèbres maîtres de Musique du Diocèse de Bayeux” procurées par des musiciens en activité dans la ville épiscopale ou à Caen1Les approbateurs de la méthode sont Mathieu (ancien maître de musique de la cathédrale de Bayeux), André Lajaunière (maître de musique de la cathédrale du Saint-Sépulcre de Caen), Pizet (maître de musique de la paroisse Saint-Pierre de Caen) et Michel Jourdain (organiste de la même église).. En outre, la méthode est prolongée par un Recueil de diverses proses qui ne point notées dans le Graduel de Bayeux, et qui sont en usage dans beaucoup d’Eglises et Paroisses de ce Diocèse2La liturgie du diocèse de Bayeux reposait sur un Breviarium Bajocense promulgué en 1738 par Mgr de Luynes (ce livre ayant connu une édition ultérieure sous Mgr de Rochechouart en 1771), suivie par un Missale Bajocense en 1743. Ce recueil de proses est suivie par deux propres de messe (…en réparation des outrages faits à Jesus-Christ au Saint-Cadrement de l’Autel et …du jour de la Commémoration des Fidèles Trépassés)..
Le chant en paroisse semble avoir bénéficié d’un soin particulier dans ce diocèse normand. Mgr François de Nesmond s’était déjà emparé de ce sujet dans sa Lettre pastorale… touchant les petites Ecoles (1690). Ultérieurement, la révision du chant du bréviaire fut confiée en 1739 à l’un des plus éminents spécialistes du domaine, l’abbé Jean Lebeuf3Xavier Bisaro, L’abbé Lebeuf, prêtre de l’histoire, Turnhout, Brepols, 2011, p. 200-202.. Par ailleurs, on publia en 1750 les deux volumes d’un Petit Graduel… pour la commodité des Laïques, & particulièrement des Personnes qui aident dans les Campagnes à chanter l’Office divin dont la teneur est révélatrice de l’attention portée à cette matière. Contenant les propres de messes des dimanches et fêtes du temporal, l’ouvrage de format portatif est doté de rubriques en français et d’un abondant supplément de pièces diverses (antiennes de procession, antiennes eucharistiques…) répondant aux besoins courants des chantres de paroisse. L’activité chantante que ce livre permet de deviner est à mettre en rapport avec la présence, générale ou presque, de maîtres d’école dans les paroisses du diocèse de Bayeux4Chanoine Guérin (le), “L’Enseignement primaire avant 1790“, Annuaire des cinq départements de la Normandie, XCIX (1932), p. 22-34..
Le manteau d’Arlequin
La technique d’écriture employée pour La Science pratique du chant de l’Eglise avait consisté, selon son auteur, à compiler des extraits empruntés à de précédentes méthodes. Ce procédé était courant et avait déjà servi pour un ouvrage tel que le Manuel… pour bien chanter l’Office divin du diocèse d’Angers. Cependant, et malgré l’annonce ouvrant la méthode normande, l’origine des pièces rapportées qui la composent et les coutures de leur jonction sont difficilement repérables. L’auteur a effectivement pris soin de réécrire textes et exemples puisés chez ses prédécesseurs. Il en va ainsi des illustrations du placement des bémols accidentels (figure 1) pour lesquels la Science pratique du chant de l’Eglise paraphrase discrètement le passage équivalent de la méthode de La Feillée. (figure 2) tout en ajoutant de nouveaux exemples.
Figure 1 – La Science pratique du chant de l’Eglise… (p. 13) | Figure 2 – François de La Feillée, Méthode nouvelle… (éd. 1754, p. 18) |
Le type d’enseignement développé dans la Science pratique du plain-chant s’avère très proche de de celui défini dans les ouvrages similaires à la même époque. Ses utilisateurs sont appelés à chanter selon une échelle heptachordale (ut–si) tandis que, autre signe de de modernité, la méthode fait allusion au plain-chant musical (conseils pour le port-de-voix, p. 32-33) avant d’insérer plusieurs pièces relevant de cette catégorie.
Figure 3 – La Science pratique du chant de l’Eglise… (p. 20) |
L’emprunt à d’autres manuels n’exclut pas que la méthode normande recèle quelques particularités. Outre l’insertion au commencement du directoire psalmodique d’un exposé historique correspondant aux attendus d’un lectorat de séminaristes (“Des Tons en général & de leur origine”, p. 21-24), il faut noter à cet égard l’inclusion de tables pour la répétition et l’intonation des syllabes de la gamme (figure 3), qui se rapprochent des “cartes” que l’on disposait sur les murs des salles d’école afin que le maître désignât à l’aide d’une baguette les notes à prononcer ou à chanter5À ce propos, cf. les descriptions de l’utilisation de ces “cartes” dans la méthode de l’abbé Lebeuf.. La Science pratique du plain-chant se distingue enfin encore sa complétude. En raison de sa destination cléricale, l’ouvrage comprend des matières couramment délaissées par les méthodes les plus abrégées (manière de maintenir le ton du chœur, éthos des modes, “pièces d’exercice”, intonations des oraisons et bénédictions), ainsi qu’une série de Moyens de conserver la voix comparables aux conseils délivrés, quelques décennies plus tôt, dans la méthode de dom Rémy Carré. |
Composer du plain-chant
Enfin, cette méthode normande propose des Regles de la composition du plain-chant, ce qui rappelle que, sous l’Ancien Régime, les prêtres pouvaient être amenés à enrichir le répertoire de leurs paroisses d’exercice, notamment lors de l’introduction ou de la réécriture d’offices propres locaux6Pour un exemple de messe composée par un curé de paroisse à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, cf. la Messe de l’abbé Gruau.. Alors que la composition du chant ecclésiastique avait été abordée en 1750 par Léonard Poisson dans son volumineux Traité théorique et pratique du plainchant, la Science pratique du plain-chant entendait régler la question en quatre pages de préconisations touchant à la fois au caractère général du plain-chant, à la prosodie, aux cadences, sans oublier les correspondances à rechercher entre sens du texte et figures mélodiques (figure 4).
Figure 4 – La Science pratique du chant de l’Eglise… (p. 99-102) |
En dépit de nombreux raccourcis, ce compendium contribue efficacement à l’économie générale d’une méthode adressée avant tout au monde clérical, lequel devait vraisemblablement être en attente d’une présentation synthétique de “recettes” faciles à mettre en œuvre.
(X. Bisaro, janvier 2018)
Notes [ + ]
1. | ↵ | Les approbateurs de la méthode sont Mathieu (ancien maître de musique de la cathédrale de Bayeux), André Lajaunière (maître de musique de la cathédrale du Saint-Sépulcre de Caen), Pizet (maître de musique de la paroisse Saint-Pierre de Caen) et Michel Jourdain (organiste de la même église). |
2. | ↵ | La liturgie du diocèse de Bayeux reposait sur un Breviarium Bajocense promulgué en 1738 par Mgr de Luynes (ce livre ayant connu une édition ultérieure sous Mgr de Rochechouart en 1771), suivie par un Missale Bajocense en 1743. Ce recueil de proses est suivie par deux propres de messe (...en réparation des outrages faits à Jesus-Christ au Saint-Cadrement de l'Autel et ...du jour de la Commémoration des Fidèles Trépassés). |
3. | ↵ | Xavier Bisaro, L'abbé Lebeuf, prêtre de l'histoire, Turnhout, Brepols, 2011, p. 200-202. |
4. | ↵ | Chanoine Guérin (le), "L'Enseignement primaire avant 1790", Annuaire des cinq départements de la Normandie, XCIX (1932), p. 22-34. |
5. | ↵ | À ce propos, cf. les descriptions de l'utilisation de ces "cartes" dans la méthode de l'abbé Lebeuf. |
6. | ↵ | Pour un exemple de messe composée par un curé de paroisse à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, cf. la Messe de l'abbé Gruau. |
Table des matières
I. Des notes du Plain-Chant 1. Du Nom des Notes |
p. 9 |
II. Des tons 1. Des Tons en général & de leur origine |
p. 20 |
III. Comment on doit chanter l’Office Divin suivant le Rit de l’Eglise de Bayeux 1. A Matines |
p. 73 |
Sources et bibliographie
- sources
La Science pratique du chant de l’Eglise, ou Méthode courte et facile pour apprendre en peu de temps le Plain-chant, Caen, Chez P. Chalopin, 1780.
Breviarium Bajocense, Bayeux, Typis Gabrielis Briard, 1738, 4 vol.
Le Petit Graduel du diocèse de Bayeux… pour la commodité des Laïques, & particulièrement des Personnes qui aident dans les Campagnes à chanter l’Office divin, Caen, Chez C. Le Baron et P. Chalopin, 1750, 2 vol.
Missale Bajocense, Paris, excudebat Joannes-Baptista Coignard, 1743.
- travaux
Des chanoines et des livres : actes du Colloque sur la bibliothèque du chapitre de la cathédrale de Bayeux, Cormelles-le-Royal, Éditions EMS, 2014.
Balavoine, Ludovic, Des hommes et des bénéfices : le système bénéficial du diocèse de Bayeux au temps de Louis XIV, Paris, Honoré Champion, 2011.
Berthelot Du Chesnay, Charles, Les Missions de saint Jean Eudes. Contribution à l’histoire des missions en France au XVIIe siècle, Paris, Procure des Eudistes, 1967.
Bertier de Sauvigny, Guillaume (de), Les Eudistes : au service de l’Église de France (1680-1791), Paris, SPM, 1999.
Laffetay, Jacques, Histoire du diocèse de Bayeux, Bayeux, Imprimerie de A. Delarue, 1855.